Hommage à des résistants
Je suis Elisabeth, fille d’Elisabeth BLANCHET et j’ai eu l’honneur d’écrire ce texte en hommage à nos familles. Nous étions 9 cousins descendants de Louis BLANCHET, neveux de notre oncle Louis et petits- cousins de Pierre. Cette cérémonie a eu lieu à l’église par respect et pour la solennité du moment où nous avons pu expliquer le déroulé et l’engagement de toute la famille.
La chorale de Saint-Aubin-du-Cormier était présente pour les chants correspondant aux textes, nous les remercions ainsi que le Prêtre Damien pour sa bienveillance.

Je remercie les Maires des communes de Rives-du-Couesnon, Saint-Aubin-du-Cormier, l’association Histoire et patrimoine. Tous ont œuvré pour la réussite de cette matinée commémorative.



Lecture de l’hommage rendu à l’église par les descendants ou familles de déportés.
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour commémorer les 80 ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et heureux de retrouver nos origines bretonnes.
Notre grand-père était Louis BLANCHET. Lui et son frère ainé Pierre avaient été soldats à la guerre 14-18. Les deux frères se sont mariés en 1921, Pierre avec Marie-Louise HAMARD et Louis avec Mélanie CUPIF. Les deux couples ont eu leur premier enfant en 1922. Pierre pour Pierre et Louis pour Louis.
Les historiens qui travaillent sur le sujet disent que les soldats ayant survécu à 14-18 ont été rattrapés par 39-45. Pire que cela, dans bien des cas, cela a entraîné leurs fils alors âgés de 20 ans en 1942.
Alexandre VEILLARD venait lui aussi de fêter ses vingt ans. Son père Alexandre avait été mobilisé en 14-18. Les pères étaient, par expérience, hostiles à voir leur fils partir travailler pour l’Allemagne nazie.
À l’ombre des plaques commémoratives honorant nos familles, rien n’a été oublié malgré l’éloignement. Un long travail de recherche et de rencontre a été effectué. Le temps est venu pour nous de transmettre cette mémoire. Notre génération, née après 1945, a vite pris conscience que quelque chose de particulier nous unissait. Nos parents nous ont épargné ce qu’ils avaient vécu. Cependant, de rares discussions circulaient, et cela nous interpellait et nous maintenait en éveil.
Notre histoire familiale est liée à la Résistance et aux parachutages d’armes à Saint-Jean-sur-Couesnon et à Saint-Aubin-du-Cormier où vivait la famille VEILLARD.
La région de Fougères était à un quart d’heure d’avion des plages du débarquement où plusieurs maquis étaient implantés, notamment à Saint-Marc-sur-Couesnon.
Avant la guerre, chez les BLANCHET, en juillet 1938, un 1er drame est arrivé avec la mort de Mélanie CUPIF, épouse de Louis et maman de Roger, Jean, Elisabeth et Louis âgés de 5 à 16 ans, plongeant la famille dans le chagrin.
En 1940, la guerre approchait à grands pas et le 16 février 1943 vint l’heure de l’engagement pour le service du travail obligatoire, le STO, imposé par les Nazis en accord avec le régime de Vichy. Les jeunes cousins Louis et Pierre BLANCHET ont été convoqués au STO. Alexandre VEILLARD a refusé d’aller travailler en Allemagne. Comme beaucoup de jeunes gens de cet âge, il a préféré entrer en clandestinité. Ils ont rejoint les rangs de la Résistance et plus particulièrement le réseau OSCAR appartenant à la section française du service secret britannique, le Special Operations Executive, le SOE, dirigé par colonel Maurice BUCKMASTER. Le réseau OSCAR était commandé par le capitaine François VALLÉE.
En Ille-et-Vilaine, la centrale de ce réseau était située dans le centre de Rennes. Cette organisation clandestine s’étendait sur une petite partie de la Loire-Atlantique, du Morbihan et des Côtes d’Armor.
À Martigné-Ferchaud, une stèle commémorative a été érigée en janvier 1950. 66 noms de martyrs morts en déportation sont gravés dans le granit. Parmi eux, trois BLANCHET et deux VEILLARD. Quatre femmes figurent sur ce monument : Mesdames Angèle MISERIAUX de Martigné-Ferchaud, Herminie PROD’HOMME de Rennes, Marguerite ALLARD de Messac et Anne-Marie BOIVIN de Comblessac.
Entre 1943 et 1944, dans toute la France, de nombreux parachutages ont déversé des milliers de tonnes d’armes destinées aux combattants de l’ombre. Il fallait des volontaires et du courage pour récupérer ce précieux matériel. Le monde paysan était mobilisé. Les armes étaient tout d’abord enterrées pour être distribuées par la suite dans les différents secteurs du réseau Oscar en vue des futurs combats pour la Liberté et pour ralentir la progression des Allemands après le débarquement de Normandie. Malheureusement, pour les trois communes limitrophes, St-Aubin-du-Cormier, St-Jean-sur-Couesnon et St-Marc-sur-Couesnon, avec le maquis du moulin d’EVERRE, la suite de l’histoire a été tragique.
En ce qui concerne le réseau OSCAR BUCKMASTER, Daniel JOLYS a entrepris de nombreuses recherches dont le résultat a été retranscrit dans son livre. Il explique l’organisation de ce réseau britannique et les parachutages en Ille-et-Vilaine et dans les départements limitrophes, et bien sûr ceux de Saint-Jean-sur-Couesnon et St-Aubin-du-Cormier.
® Extrait du livre OSCAR BUCKMASTER de Daniel JOLYS.
Dans le secteur de Saint-Aubin-du-Cormier, le premier parachutage a eu lieu dans la nuit du 18 au 19 août 1943 au Bras de Saint-Moron après la diffusion du message « Ce soir tous les chats sont noirs » par la BBC, la radio de Londres, dans ses émissions quotidiennes « Les Français parlent aux Français ». Les sept containers remplis d’armes et de munitions ont été enterrés dans la ferme de Tournebride d’Alexandre VEILLARD. À Saint-Jean-sur-Couesnon, un second parachutage a eu lieu dans la nuit du 20 au 21 octobre 1943, suite au message « À la mémoire de Johnny, mon ami souci ».
Les treize containers contenant deux tonnes de matériel militaire ont été largués par la Royal Air Force dans un herbage à Saint-Jean-sur-Couesnon, à la limite de Saint-Georges-de-Chesné. La cargaison a été transportée à la Reudais chez Louis BLANCHET, puis enfouie sous la batteuse dans la grange. Pour la réception de ces parachutages, les membres du réseau étaient mobilisés ainsi que les sympathisants du village, soit environ quinze volontaires.
Dans son témoignage recueilli en 1998, Paul CATHELINE, originaire de Martigné-Ferchaud, réfractaire au STO, n’a pas oublié ces opérations à hauts risques. Il raconte : « Avant de partir sur les lieux des parachutages, avec les résistants de Saint-Aubin-du-Cormier, on buvait une goutte pour se donner du courage ».
Un troisième parachutage n’a pu être réalisé. Le poste d’observation allemand, installé dans le clocher de l’église de Saint-Aubin-du-Cormier, risquait de donner l’alerte. Deux gendarmes de la brigade de Saint-Aubin-du-Cormier couvraient les activités clandestines du réseau et particulièrement les hébergements des réfractaires au STO. Ce qui leur demandait, à eux aussi, un certain courage.
Les Allemands, occupant notre pays, imposaient leurs lois implacables et arrêtaient tous les opposants au régime nazi. Leurs services répressifs étaient redoutables pour infiltrer, retourner, identifier et arrêter les résistants et leurs familles. C’est ainsi que le réseau OSCAR BUCKMASTER, implanté en Ille-et-Vilaine et dans les départements voisins, fut démantelé en l’espace de six mois. Au total, 152 personnes, dont 24 femmes, ont été internées dans différentes prisons. 108, dont 7 femmes, ont été déportés dans les terribles camps de concentration nazis. 66 y décèdent dont 4 femmes. Aucun secteur du réseau OSCAR n’est épargné.
Le 29 novembre 1943 au matin, la police allemande arrête brutalement Alexandre VEILLARD père, son épouse Adèle et leur fils Alexandre, arrestations suivies du pillage de leur habitation.
Au cours de l’après-midi, la Gestapo se déplace à Saint-Jean-sur-Couesnon et appréhende Louis BLANCHET père, ses deux fils, Louis et Jean, 16 ans, ainsi que Pierre sous les yeux d’Elisabeth, 15 ans, qui a reconnu le collaborateur français qui guidait les soldats allemands. Il était déjà venu à la ferme en tant que réfractaire au STO, une des techniques d’infiltration.
À son retour de l’école, le petit Roger, 11 ans, a été protégé par des voisins. À partir de cette date, à leur ferme de la Reudais, il ne restait plus qu’Elisabeth et Roger accompagnés de leur tante Marie. La situation est identique à Saint-Aubin-du-Cormier avec deux enfants restés seuls à la ferme de Tournebride : Clément, 6 ans et Roger VEILLARD, 14 ans, sous la protection de leur sœur ainée Adèle qui venait d’avoir un enfant.
Il est difficile d’imaginer ce que ces enfants ont pu ressentir, alors qu’il fallait assurer le travail quotidien à la ferme. La situation était la même chez Mme Angèle MISÉRIAUX de Martigné-Ferchaud, également déportée, et dans une dizaine de familles en Ille-et-Vilaine. Ces hommes et ces femmes ont été internés dans la prison Jacques-Cartier à Rennes pour leur activité résistante caractérisée, entre autres, par les caches d’armes dans les granges de leurs fermes.
Mais l’espoir était toujours là. Les familles ont redoublé d’efforts pour soutenir nos internés dans la sinistre prison rennaise. La Libération approchait, cela se savait par la radio et s’entendait par les activités aériennes de plus en plus intenses. Après les arrestations dans cette poche de résistance, il y a eu, sans aucun doute, de nombreuses nuits sans dormir. Les BLANCHET et les VEILLARD étaient loin d’être les seuls engagés dans ces aventures périlleuses.
Dans ce secteur, quelques familles ont été tout autant impliquées sans avoir été inquiétées, dont Madame Marie-Josèphe GESMIER demeurant au lieu-dit Général à Saint-Jean-sur-Couesnon. Pour se donner du courage, les familles s’accrochaient à leur culture suivant leur sensibilité. Dans les campagnes bretonnes, les gens étaient majoritairement catholiques. Ils priaient Jésus et invoquaient Marie.
Chaque semaine, mon grand- père, Pierre BLANCHET, et sa nièce Elisabeth portaient de la nourriture et des vêtements à la prison Jacques-Cartier de Rennes. Ils quittaient la ferme à vélo, prenaient le train, déposaient les victuailles et reprenaient les vêtements à laver. Ils trouvaient dans les chaussettes ou revers de manches des petits papiers à cigarettes où il était écrit : « Apportez plus, on crève de faim » ou « Apportez plus de pain jaune, on aime ça ». L’imagination ne manquait pas pour rendre le pain plus nourrissant en y incorporant des œufs.
Joseph DARSEL, résistant breton, déporté et rentré des camps nazis, compagnon de cellule et de voyage de Louis BLANCHET, raconte dans son livre témoignage : « La famille BLANCHET apporte régulièrement du pain blanc, du beurre et du lard qu’elle partage avec nous ».
« Régulièrement », nous savons que c’est chaque semaine que Pierre BLANCHET et sa nièce Elisabeth portaient des victuailles à la prison de Rennes.
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Extrait du livre de Joseph DARSEL. « La Bretagne au combat ».
Dans la soirée du 5 février 1944 nous arrive un jeune étranger à l’air bizarre ; il s’affale sur sa paillasse et ne dit mot. Comme il refuse toute nourriture, je vais à lui le lendemain matin et je lui propose quelques douceurs reçues de la maison, mais je me heurte à une opposition ferme et polie.
Mon obstination est récompensée le lendemain quand je lui tends un peu de pain blanc que m’a remis Louis Blanchet. Sa tenue, son attitude m’inquiète : je me présente et lui parle de mon action résistante, et peu à peu il dévoile son secret :
- Je suis musulman, j’ai fait le vœu de ne pas manger de viande avant de réussir mon évasion.
- Vous ne pouvez vivre ni réussir vos projets sans être en bonne santé ; alors acceptez ce que nous vous offrons de bon cœur.
Les jours suivants, ma ténacité est récompensée en écoutant le récit des aventures de mon nouvel ami. Son accent oriental donne aux évènements une image colorée et vivante.
« Je m’appelle Shah ZAMAN, j’ai 23 ans et je suis officier de chars dans la huitième Armée anglaise. Après plusieurs mois de campagne, j’ai été fait prisonnier par les Italiens. Ces derniers ne pouvant plus nous nourrir, ils nous abandonnent dans le désert. Après plusieurs jours de souffrances atroces provoquées par la faim et la soif, je réussis à rejoindre les Forces anglaises et reprends le combat.
« Quelques mois plus tard, nous sommes trahis par un officier ; notre unité, encerclée par un groupe de chars Allemands, est faite prisonnière. De camps en prisons, j’arrive au camp Marguerite à Rennes ; c’est là que sont rassemblés de nombreux prisonniers de couleur. Et du camp Margueritte me voilà à la prison Jacques-Cartier de Rennes ».
Dans ce texte, il y a deux éléments importants, les petits papiers et le partage du pain. Bernadette, dernier témoin de cette époque, en a parlé il y a moins d’un an. Les Allemands trouvaient que les BLANCHET mangeaient beaucoup, ou disaient-ils, « Beaucoup manger les BLANCHET. »
Les petits papiers. Madame Angèle MISERIAUX de Martigné-Ferchaud, membre très active du réseau OSCAR, mère de 6 enfants et veuve avant la guerre, arrêtée pour actes de résistance un soir alors qu’elle chantait au coin du feu entourée de ses enfants. Après son internement à la prison de Rennes, elle fut déportée sans retour au camp des femmes de Ravensbrück. Sur le quai d’une gare, elle a jeté ce petit papier où elle a écrit : « Je pars vers l’inconnu, mes chers enfants, prenez soin de votre petite sœur ».
Le pain. « Apportez-plus, on crève de faim ». Cette info, nous l’avions reçue très jeune. Nous pensions pendant longtemps que les vivres ne leur étaient livrés que partiellement. Mais ceux-ci étaient bien distribués et partagés avec leurs compagnons de cellule. Louis père et fils, Jean et Pierre BLANCHET étaient dispersés dans 4 cellules différentes avec d’autres résistants, des militaires, des aviateurs alliés ou des agents anglais parachutés pour aider la Résistance.
Roger a consacré une partie de sa retraite à son travail de mémoire. Bernadette a donné, jusqu’au bout, des renseignements précieux. Il y a longtemps déjà, sa sœur Marie-Louise disait « Elisabeth, elle a eu bé du deù». Cela voulait dire en Français, elle a eu beaucoup de mal, beaucoup de peine physiquement et moralement. Bernadette et Marie-Louise ont vécu avec leur sœur Léa et leur frère Olivier ces tristes années avec le chagrin de la perte de leur frère ainé Pierre. À l’époque, et surtout dans ces moments, tous les enfants étaient forcément à la tâche pour aider leur mère Marie-Louise qui pétrissait le pain.
Quand on regarde l’Histoire depuis des siècles et encore maintenant, les gens ont toujours été divisés. C’était le cas sous l’Occupation. Les résistants étaient eux- mêmes partagés entre logique patriotique et influence politique, mais ils avaient un objectif commun : se débarrasser de l’ennemi.
Le refus du travail obligatoire était déjà une bonne façon de résister. Ne pas donner de travail aux nazis pendant des mois, voire des années, était un acte de résistance très fort. Mais à l’âge de vingt ans, après l’appel du Général de Gaulle, il était difficile de rester les bras croisés. Des contacts ont été pris avec le réseau OSCAR.
Par sécurité, pensaient-ils, des échanges de jeunes gens étaient organisés entre les communes de Saint-Aubin-du-Cormier, Saint-Jean-sur-Couesnon, Martigné-Ferchaud et Saint-Brieuc-des-Iffs. Les réfractaires au STO étaient le plus souvent placés secrètement chez des agriculteurs sympathisants du réseau. Ce sont les pères de famille, et quelquefois les mères, qui ont accepté de cacher dans leurs propriétés des fausses cartes d’identité et des armes. Ils se sont souvent engagés à cause de leurs enfants clandestins, ou par simple conviction. Les deux pères BLANCHET étaient engagés pour leurs deux fils. Ils hébergeaient tous les deux d’autres réfractaires, mais Louis a pris le risque d’engranger les conteneurs parachutés, alors qu’il était veuf et chargé de famille.
Il y a des choses étonnantes dans les situations personnelles des résistants, notamment des femmes vivant seules, engagées dans ces aventures avec de fortes convictions.
À Saint-Jean-sur-Couesnon, vivait Madame Marie-Josèphe GESMIER, avec sa forte personnalité, fervente catholique, veuve depuis peu et mère de 7 enfants de 13 mois à 13 ans. Incroyable ! Elle était dans le collimateur des Allemands au point d’avoir été mise en joue, mais finalement elle n’a pas été arrêtée.
À Martigné-Ferchaud, c’était Madame Angèle MISERIAUX, très proche de l’Église, elle aussi, veuve avec six enfants. Elle avait fait savoir que si les Nazis prenaient le pouvoir, « elle remettrait en cause l’existence de Dieu! » L’impensable n’a pas eu lieu puisque la France a finalement été libérée, mais Mme MISERIAUX a disparu dans son camp de Ravensbrück à la manière du peuple juif, laissant derrière elle, 6 orphelins de père et de mère.
Les BLANCHET et VEILLARD étaient toujours internés à Rennes au moment du débarquement de Normandie le 6 juin 1944, événement qui suscitait l’espoir d’une libération proche, mais c’était sans compter sur la détermination des nazis. Des exactions ont eu lieu à la prison de Rennes. En soutien à leurs camarades, chaque jour, des chants patriotiques, populaires ou religieux s’échappaient des fenêtres des cellules et se répandaient dans toute la prison.
Les départs des déportés vers Compiègne dans des wagons à bestiaux se sont accélérés au printemps 1944. Louis, père et fils, Pierre BLANCHET et Alexandre VEILLARD, père et fils, ont quitté la prison de Rennes le 29 juin 1944 avec une centaine d’internés. Soit 23 jours après le débarquement. C’est précisément ce même jour que Jean BLANCHET, 17 ans, ainsi que Madame Adèle VEILLARD, sont rentrés chez eux très affectés, après 7 mois d’internement.
Le train transportant ces familles est parti de Rennes en direction de Nantes et de Tours jusqu’au camp de Compiègne. Le trajet a été parsemé de nombreux arrêts pour éviter les attaques aériennes alliées. Ce voyage a duré 13 jours et 13 nuits. Ils se seraient bien évadés mais les gardiens allemands promettaient de terribles représailles envers ceux qui restaient. Ils ont ensuite séjourné 15 jours au camp de Compiègne. Le 28 juillet 1944, ils sont repartis vers le sinistre camp de concentration de Neuengamme proche d’Hambourg, sans retour, soit près de deux mois après le débarquement.
J’arrête là ce récit, à la porte des camps nazis.
Si 80 ans après, nous commémorons nos chers disparus en déportation, il faut aussi honorer les nombreux enfants encore mineurs, souvent orphelins de père et de mère, assurant le travail de leur ferme. À l’époque, la nourriture se fabriquait dans les fermes et à la main : traire les vaches, écrémer le lait, baratter le beurre, pétrir le pain, mais aussi laver le linge, chercher l’eau au puits…
Honneur à ces enfants mais aussi aux oncles, tantes et cousins, cousines, voisins qui ont dû venir à la rescousse. Nous pensons à Madame Adèle VEILLARD et ce qu’elle a pu endurer à son retour de Jacques-Cartier. Non seulement ils devaient continuer à travailler pour maintenir leur ferme et survivre, mais en plus, ils recevaient en cascade les mauvaises nouvelles d’Allemagne.
Pierre BLANCHET est décédé en novembre 44 suivi de son cousin Louis et d’Alexandre VEILLARD en janvier. Les pères survivaient plus longtemps, moins sensibles dans l’ensemble à la maltraitance et au manque de nourriture, ils sont décédés en avril 1945.
Mon oncle Roger a été le seul de sa fratrie à vivre sa retraite, Jean est décédé à 35 ans en 1962 et Elisabeth à 62 ans en 1991. Roger a courageusement fait un long travail de mémoire accompagné de son épouse Louise ; il est décédé en 2018 et Louise SIMON en septembre dernier. Longtemps après cette épopée tragique, la famille n’a pas été épargnée par la perte de jeunes gens, nous pensons à eux.
Après la guerre, Jean, Elisabeth et Roger BLANCHET ont exploité comme ils ont pu leur ferme pendant 10 ans. Ils se sont mariés, nous ont mis au monde et ont quitté la région à la faveur d’un plan agricole. Jean et sa famille sont partis en Normandie, Roger et Elisabeth en région Auvergne où une dizaine de familles bretonnes étaient installées. Nous étions une communauté où la vie de famille comme on la connaissait en Bretagne a repris son cours.
Ce que l’on retient de nos parents et de nos cousins et cousines, c’est leur force de caractère ; rien ne semblait les toucher. Il fallait avancer et construire une vie meilleure. Cela s’est fait bien sûr, mais seulement au prix d’un énorme travail. S’ils s’en sont sortis, s’ils nous ont élevés, offert des études, je pense particulièrement à ma tante Maria, l’épouse de Jean restée seule avec 5 enfants, c’est aux prix de leur travail considérable.
Quand on remonte le temps, par le biais de la généalogie, nous constatons que les différentes époques ont eu leurs lots de misère. Mais nous apprenons beaucoup sur la construction de notre civilisation par nos valeurs chrétienne et laïque.
Sur les terres de nos ancêtres, je peux simplement dire que l’esprit de nos familles est bien présent dans toutes les églises et communes des RIVES DU COUESNON.
Nous devons être à la hauteur de leur mémoire et du courage de nos parents. Le meilleur moyen d’honorer nos familles sera de fêter dignement ces 80 ans de liberté, 80 ans d’évolutions techniques, de confort et d’évolution médicale. Bien conscients que la paix reste fragile, il convient de célébrer la vie.
Notre histoire liée à 39-45 représente des heures, des jours et même toute une vie d’écoute, elle est authentique et sincère. Je remercie de la transmettre telle qu’elle est, telle que nos parents et grands-parents l’ont vécue.
Fait pour transmettre cette mémoire, Saint-Jean-sur-Couesnon, le 10 mai 2025.

Elisabeth BLOT-BLANCHET
Pour plus d’infos : Site internet les déportés d’Ille-et-Vilaine représentant 788 déportés dont les familles BLANCHET. Lien, résistance et milice à St-Aubin-du-Cormier