UN MARIAGE ROCAMBOLESQUE

quelques années plus tard…

André Léon GAUDEFROY est né le 18 juin 1917 à Colombes (92 es 75), issu d’une longue lignée d’horlogers et horloger lui-même, fils de Charles Joseph GAUDEFROY (1874-1942) et de Laure Antonia LEQUERRÉ            (1876-1966), au service militaire en 1937.

Marie Josèphe Françoise VOSINE est née le 9 juillet 1918 à la Rouxière (44), issue d’une longue lignée de laboureurs, métayers, cultivateurs fille de Félix Henri VOISINE (1884-1949) et de Marie Louise JOURDON (1895-1985) et elle-même agent de la SNCF à Paris, hébergée depuis 1937 à Colombes chez Joseph et Laure Gaudefroy, occupant la chambre du jeune militaire, expatrié dans l’Est de la France.

Nos héros en haut à gauche (1 et 2)

Ils se sont connus à Pornic (44), elle, travaillant à la perception avant de passer le concours de la SNCF et eux en vacances dans la maison où la jeune fille louait une chambre.

Le mariage était prévu fin novembre ou début décembre 1939, à la démobilisation de Dédé. En raison de la guerre, le jeune homme ne serait pas libéré à l’issue de ses vingt sept mois de service militaire. La date du mariage fut malgré tout fixée au 27 novembre. La cérémonie aurait lieu à Colombes, où ils étaient l’un et l’autre officiellement domiciliés. Marie, Félix et Hélène, leur seconde fille, accompagnés de Joséphine, sœur de Marie, viendraient en Région Parisienne pour la circonstance.

Dédé aurait besoin d’une permission pour se marier. Avant tout, il fallait faire publier les bans. Le Maire de Colombes s’y refusait en l’absence de l’autorisation du Colonel du Régiment. Le colonel estimait que le jeune homme, simple caporal, n’avait pas besoin d’autorisation car il n’était pas sous-officier, les caporaux n’étant que des hommes de troupe. Ce fut à Laure et Joseph de démêler cet imbroglio paperassier. Pendant ce temps, furieux, Dédé écrivit une lettre salée au Maire de Colombes, au désespoir de Laure, sa mère.

Les jeunes époux ne disposeraient que de très peu de temps pour être vraiment ensemble puisqu’il leur faudrait repartir presque aussitôt pour leurs provinces respectives. Il y eut alors un long conciliabule entre les parents de Marie-Jo, ceux de Dédé, et Joséphine. Marie avait proposé que les fiancés s’offrent leur nuit de noces en partageant le même lit la nuit précédant leur mariage, chose parfaitement incongrue à cette époque où, en principe, la jeune épousée se devait d’arriver vierge au mariage. Marie avait plutôt des idées d’avant-garde, et la simple pensée d’une entorse de cette nature à la morale lui aurait bien valu une nouvelle excommunication de la part du curé de la Rouxière si elle avait été portée à sa connaissance ! L’autorisation sollicitée fut finalement votée à l’unanimité des voix. Les jeunes gens, innocents, ignoraient tout de ce projet.

Le souci primordial du jeune homme était sa permission. On était le 26 novembre. De son lieu de garnison, Dédé se rendit par les tranchées au P.C. du Capitaine situé dans un village distant de plusieurs kilomètres pour récupérer le précieux document l’autorisant à partir. La permission n’était pas là ! Le Capitaine envoya le jeune homme au Centre du Courrier, dans un second village. De là, il fut expédié au P.C. du Colonel, dans un troisième village. Le temps passait. Dédé, qui était propre comme un sou neuf en partant le matin, se retrouvait tout trempé avec son uniforme maculé de la boue des tranchées qu’il enfilait au pas de course depuis l’aube. Chez le Colonel, sa déception fut grande. L’angoisse lui nouait les tripes. Une estafette l’emmena en voiture au Fort de Thionville, au P.C. du Général. Ce militaire de liaison connaissait tous les bureaux. Le jeune caporal pouvait rester dans la voiture pendant qu’il faisait les démarches. Or, l’estafette n’était pas en état de se présenter au Général : il n’avait pas de ceinturon ! Qu’à cela ne tienne ! Dédé lui passa rapidement le sien. Le militaire se présenta correctement à un officier du Général qui chercha la permission parmi tous les papiers qui encombraient son bureau. Le document était bien là, mais non signé ! L’officier le parapha en lieu et place du Général, et le militaire de liaison revint rapidement à sa voiture. Il démarra en trombe et fila à toute vitesse pour déposer son protégé à la gare de Thionville. Un train à destination de Paris était en gare. Dédé se précipita par le portillon pour passer directement sur le quai pendant que l’estafette faisait tamponner billet et permission. Ce dernier tendit ses papiers en règle au futur marié qui sauta dans le train au moment où celui-ci s’ébranlait. Le convoi filait déjà à vive allure lorsque Dédé se rendit compte qu’il avait oublié de récupérer son ceinturon !

A Colombes, le samedi 27 novembre au matin, Marie-Jo joliment vêtue et chapeautée, était fin prête pour la cérémonie nuptiale. A ses côtés, son amie, la grande Emilienne Benoît essayait de la distraire de sa tension. Les invités au grand complet s’impatientaient et commençaient à tourner en rond, le cœur rongé d’inquiétude. Un employé municipal s’était déjà présenté pour venir aux nouvelles : le Maire se demandait si le mariage projeté aurait bien lieu. Il fallait que quelqu’un se dévoue et aille prévenir le curé que la cérémonie aurait du retard sur l’heure prévue. Tout semblait prêt.

Il y avait pourtant problème, et de taille : si la mariée était bien présente, de marié, il n’y avait point. C’était l’absence de Dédé qui remettait tout en cause. Avait-il pu obtenir sa permission ? Nul n’en savait rien. Les jeunes gens, toujours ignorants du projet de leurs procréateurs quant à leur nuit prénuptiale, n’avaient, bien sûr, pas pu profiter de l’incroyable autorisation parentale. Si le marié n’arrivait pas, il faudrait reporter la cérémonie à une date ultérieure. Cette éventualité posait problème à tout le monde : à la famille de Marie-Jo qui ne se déplaçait pas si aisément car il fallait faire appel aux amis et voisins pour l’entretien de bêtes de la ferme en son absence; aux sœurs et belle-sœur du jeune homme qui s’étaient déplacées exprès du fond de l’Anjou où elles étaient réfugiées; et enfin à Laure et Joseph qui avaient organisé chez eux un inutile repas de noces.

Au moment où l’on prenait la décision de tout annuler, on vit surgir une parodie de militaire tout essoufflé, crotté des pieds à la tête, à l’uniforme incomplet car sans ceinturon, lamentable en un mot. C’était Dédé qui arrivait pour se marier. Et il était hors de question de le marier dans cet état. Marie et Joséphine s’affairaient autour du jeune militaire pour essayer de le décrotter. Ses bandes molletières étaient tellement boueuses et humides qu’elles étaient impossibles à nettoyer. Dédé y renonça, les défit. Joseph possédait, pour aller à la pêche, une paire de bottes de cuir, lacées du cou de pied au devant de la jambe. Il les proposa à son fils qui enfila, en guise d’uniforme, pour son mariage, les bottes de pêche de son père. Le frère de Francine, sa belle-sœur, Jean LEROUX, lui prêta un ceinturon, venu de Dieu sait où, peut-être une relique de la guerre de 1914-1918.

Le futur marié, enfin présentable, même s’il n’était pas l’image parfaite du militaire modèle, avait encore une formalité à accomplir avant de pouvoir se marier : il ne s’était pas confessé depuis sa première communion et, même s’il n’était pas d’un âge canonique, cela faisait quand même quelques années de péchés derrière lui. Il se précipita à l’église :

– J’ai tout fait !

– Mais non ! Tu n’as pas tué ?

– Non.

– Tu n’as pas volé ?

– Non.

– Tu n’as pas manqué de respect à tes parents ?

– Non , –

– Tu vois, tu es blanc comme l’agneau qui vient de naître ! Tu n’as pas…?

Cela dura longtemps. Le jeune homme piaffait d’impatience dans le confessionnal. Enfin, il reçut l’absolution pour ses péchés, fit une rapide pénitence, et libéré, courut rejoindre la noce qui s’était rendue à la mairie entre temps. Le mariage put enfin se dérouler normalement, malgré le retard pris sur l’horaire fixé.

On ne fit pas les photos le jour du mariage, mais deux jours plus tard, le lundi 29 novembre. Le photographe choisi tenait studio à Paris, sur les Champs Elysées. Il était réputé pour la qualité de son travail. Les jeunes époux revêtirent une nouvelle fois leur tenue de cérémonie, Marie-Jo, sa jolie robe rose et son chapeau, Dédé, son uniforme agrémenté du vieux ceinturon et chaussé des bottes de pêche de son père. Le jeune couple se présenta à l’heure fixée. Ils se tinrent bien raides face à l’objectif, et le photographe, après avoir chargé la plaque dans son appareil, disparut sous le drap noir. Le soir-même, Dédé, dont la permission se terminait, reprit le train pour la Lorraine. A son grand dam, son supérieur lui déclara à son retour qu’il aurait pu profiter d’une journée supplémentaire et ne rentrer que le lendemain. C’est aussi ce jour-là que Dédé fit son baptême du feu. Dédé, sur sa photo de marié, était superbe dans son uniforme de comédie, et le bout du chapeau de Marie-Jo, qu’on apercevait dans l’angle, laissait supposer que la mariée n’était pas vilaine non plus. Ils gagnèrent le droit de refaire les photos ratées que le photographe, penaud, promis de recommencer gratuitement, mais elles ne furent jamais refaites, car, compte tenu des circonstances, chacun des jeunes époux était reparti de son côté.

Annelle